Thème partagé 3 - Pluralité et asymetrie des savoirs
Porté par Nicolas Lainé, Matthieu Salpeteur et Rafael Figueroa
L’objectif de ce thème partagé est d’interroger la pluralité des savoirs et leurs asymétries, dans leurs modalités de constitution, de circulation et de reconnaissance. Les savoirs se présentent comme des ensembles de connaissances reconnus par un ou plusieurs groupes sociaux, plus ou moins formalisés, incarnés et matérialisés, acquis selon différentes modalités d’expérience, d’apprentissage et de transmission. Ils ne sont pas figés : leur caractère intrinsèquement dynamique se conjugue avec des processus de stabilisation et de normalisation, ce qui conduit à des tensions permanentes entre innovation, incorporation et institutionnalisation.
Ces savoirs sont également traversés par une dimension politique. Ils constituent des ressources dans le jeu social et des enjeux de légitimité, à toutes les échelles, du groupe local aux arènes internationales. La question se pose de savoir comment certains régimes de savoirs – académiques, scientifiques ou institutionnels – s’imposent comme dominants, tandis que d’autres – souvent locaux, pratiques, expérientiels – demeurent marginalisés, invisibilisés ou réduits à de simples « données de terrain ». Comment les asymétries de production, d’accès et de transmission façonnent-elles les rapports entre acteurs, institutions et territoires ? Quels effets de pouvoir se manifestent dans la gouvernance des savoirs, depuis les dispositifs de gouvernement jusqu’au niveau des subjectivités et des corps ?
La gouvernance contemporaine de la biodiversité, du patrimoine ou encore la montée en puissance d’approches intégrées en santé (telles que One Health) rendent de plus en plus poreuses les distinctions entre savoirs scientifiques, savoirs pratiques et savoirs non-humains. Ces processus conduisent à des tentatives d’hybridation, mais aussi à de nouvelles controverses. La question est alors : sous quelles conditions ces hybridations sont-elles possibles et légitimes, et quels risques d’effacement ou d’ignorance produisent-elles ? Comment les institutions encadrent-elles, ou au contraire limitent-elles, la circulation des savoirs dans ces champs ?
Un axe fort de réflexion porte sur la dimension interspécifique des savoirs. Ceux-ci ne se réduisent pas aux humains, mais impliquent des êtres vivants (plantes, animaux, micro-organismes) et des éléments matériels (espaces, objets, matières) qui participent activement à leur production et à leur transmission. Comment les comportements des animaux – qu’il s’agisse de pratiques alimentaires, de déplacements ou de comportements de soin – enrichissent-ils les savoirs humains, par imitation, observation ou cohabitation ? Comment les expériences sensibles avec la forêt, les plantes médicinales, les sols ou les cycles écologiques participent-elles à la fabrication de connaissances collectives ? Ces interrogations conduisent à poser les bases d’une anthropologie des savoirs interspecifiques, capable de rendre compte à la fois des médiations interspécifiques et des tensions qu’elles suscitent dans les régimes de savoirs dominants.
La question de l’invisibilisation mérite également une attention particulière. Certains savoirs disparaissent ou sont rendus invisibles, volontairement ou non, sous l’effet de politiques publiques, de logiques de patrimonialisation ou de dispositifs techniques. Quelles dynamiques produisent de l’ignorance, de l’oubli ou une mémoire sélective ? Comment se construisent les récits historiques qui hiérarchisent certains savoirs et en effacent d’autres ? Ces problématiques rejoignent les débats sur la matérialité des savoirs, leurs « traces » et leur gestion, que ce soit dans les archives, les musées ou les bases de données numériques.
Enfin, ce thème invite à réfléchir au rôle du chercheur. Comme médiateur (ou non) entre des régimes de savoirs pluriels, il est confronté aux asymétries persistantes entre sciences et sociétés, mais aussi aux inégalités structurelles Nord/Sud dans la production scientifique. Comment développer une réflexivité à la fois éthique et politique dans un contexte postcolonial marqué par des déséquilibres de longue durée ? Quelle place donner aux savoirs locaux, notamment dans les recherches en partenariat, pour qu’ils soient reconnus autrement que comme un simple complément empirique à la science académique ? Et quelles politiques réalistes de partage et de mise en commun des données et des résultats peuvent être envisagées, lorsque ces savoirs engagent à la fois des communautés humaines et des existants non-humains ?
En résumé, ce thème partagé propose de questionner la constitution, la hiérarchisation et les trajectoires entremêlées – et pas nécessairement convergentes – des régimes de savoirs. Il s’agit d’analyser leurs effets sur les environnements et sur les sujets (humains et non-humains), tout en explorant la manière dont ils s’articulent dans des contextes multiscalaires, marqués par des enjeux politiques, éthiques et écologiques.
Mots-clés : savoirs pluriels ; asymétries ; interspécificité ; hybridation ; institutions ; matérialité ; circulation ; invisibilisation ; réflexivité.